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Trop jeunes pour ça ?

Décalé | Par Antoine le 19 février 2011 à 19 h 32 min

Bon d’accord, on vire dans la provoc’ avec Justin Bieber là, mais c’est aussi sérieux

Aux USA, il n’y a presque aucune limite sur l’emballement public autour des jeunes pousses. Les termes « recruitment », « scouting »  et « hype » deviennent omniprésents, mais c’est surtout la réalité qu’il y a derrière qui nous intéresse. Sans verser dans la morale, étude d’un phénomène qui n’a pas que ses aspects positifs. Et qui existe jusqu’en NBA, alors que le match «Rookies vs Sophomores » s’est déroulé hier soir.

Des limites qui touchent même la NBA

Le « Rookies vs Sophomores Game » n’a pas toujours été fait sous cette formule. Il y a encore peu de temps, il était réservé aux rookies uniquement. La démarche était bien la même : montrer au public les jeunes talents de la grande ligue, qui passent parfois sous le radar car – du fait du système de la draft – ils évoluent la plupart du temps dans des équipes mineures. Cependant, pour augmenter un peu le niveau, la ligue s’est rendu compte qu’il valait mieux étaler la sélection sur deux ans. Au passage, les organisateurs reconnaissaient implicitement que l’accent mis sur le « talent exceptionnel » de ces jeunes était un peu abusif. Autrement dit, difficile de réunir tous les ans suffisamment de très bons joueurs issus de la même promotion.

Ce match a ses avantages : George Eddy reconnaissait en 2009 s’être arrêté sur le cas Kevin Durant grâce au match d’exhibition, par exemple. Mais aussi ses limites : le trophée de MVP de la rencontre l’an dernier a été remis à Tyreke Evans, alors que DeJuan Blair semblait aux yeux de presque tout le monde (notamment Evans) plus méritant. La logique « star »  – Evans était alors beaucoup plus en vue que Blair – l’a donc emporté lors de la délibération, montrant bien un biais et un objectif à la limite du sportif dans son fonctionnement.

La NCAA et ses extrêmes

Au niveau précédent, la NCAA, l’emballement précoce sur des joueurs dont la réussite future n’est pas assurée est le principe même  d’existence de l’organisation. Les joueurs peuvent être des stars nationales pendant leurs années college, mais ne jamais voir le bout d’un contrat NBA par la suite. On peut alors arguer que les players en retirent tout de même un certain prestige et une éducation financée par une bourse (alors que l’université est extrêmement chère aux États-Unis). Mais quand on voit le business énorme autour de l’association, alors que les joueurs ne touchent rien, il y a de quoi se poser des questions sur la justice du processus. De plus, assez peu saisissent véritablement la chance d’obtenir un diplôme valable, alors qu’ils doivent enchainer les matches et les déplacements longue distance.

Certes, ceux qui n’intègrent pas la NBA ont encore une chance de jouer à l’étranger, en Europe notamment, ce qui n’est pas une tare. Mais là aussi tous n’auront pas la possibilité de saisir cette opportunité et ils n’en tireront pas forcément une rémunération suffisante, en tout cas certainement très éloignée de ce qu’ils ont généré alors qu’ils étaient en fac (sans rien toucher, encore une fois). Les difficultés à vivre ce passage brutal de la lumière à l’ombre ne concerne pas que l’amour-propre du joueur et son futur personnel (ce qui est déjà beaucoup), mais aussi ses relations par rapport à son entourage et surtout sa famille, notamment lorsqu’il est déjà père.

Bien entendu, il n’y a pas de système parfait. Éventuellement, on peut même penser qu’il n’est pas immoral de faire de l’argent à partir du moment où on offre quand même une chance. Mais il ne faut jamais oublier de souligner aussi les limites et les défauts qui sont inhérents ou collatéraux. Surtout quand la justice du « ce sont toujours les meilleurs qui s’en sortent donc le système marche » est prouvée comme fausse chaque année, lorsque des joueurs obscurs, parfois récupérés après être partis jouer en D-League ou à l’étranger, s’en sortent beaucoup mieux que des jeunes sélectionnés avant eux, mais qui n’atteignent pas un niveau suffisant pour rester en NBA.

Dès le lycée

En terme de dommages collatéraux, c’est lorsque les joueurs sont encore plus jeunes qu’il y a certainement le plus de dégâts. Effectivement, dès le lycée, des jeunes montrant un certain talent sont d’ores et déjà montés aux nues, à coup d’adjectifs les plus irréels tels « The next Michael Jordan ». Du coup, le joueur se voit assumer dès ses 15 ou 16 ans des situations qui ne devraient pas forcément le concerner avant sa vie d’adulte. À titre d’exemple, on citera Anthony Davis, l’une des top recruits de cette année, qui s’est retrouvé dans un imbroglio mediatico-juridique lorsqu’il a été accusé d’avoir touché un pot-de-vin pour déterminer la faculté où il évoluera l’an prochain.

C’est aussi bien plus souvent ce qui se passe autour du jeune sportif qui le pousse à voir trop loin, provoquant parfois sa chute, plutôt que ses décisions ou son implication personnelle. Le superbe documentaire « Hoop Dreams »  montre ainsi tous les aspects du système de recrutement dès le lycée. Réalisé dans les années 90, il ne rend en plus pas compte des déviances actuelles : sites internet dont l’activité consiste à classer – très précocement donc – les joueurs et leurs chances de percer.

Personnellement, j’ai couvert comme journaliste le McDonald’s All American (sorte de All Star Game des lycéens), ainsi que le Jordan Brand Classic, avec le match des espoirs US de 18 ans et celui des internationaux de moins de 16 ans.  À chaque fois, j’ai été frappé par la logique et les effets de ce recrutement (ou exhibition) avancé. Les joueurs n’ont pas d’autre choix que de se projeter vers un futur professionnel. La culture américaine poussant à afficher les objectifs les plus ambitieux possibles, ils sont quelque part forcés à se prêter à un jeu qui n’a que peu de prises avec la réalité : « je souhaite créer un business empire » déclara ainsi Harrison Barnes l’an dernier.

Plus grave, il y a un nombre incalculable d’activités autour de ce phénomène, qui en vivent et poussent à perpétuer cette logique peu compatible avec le développement réel d’un sportif vers le plus haut niveau. Les sites internet qui font des classements de joueurs au niveau jeune supposent qu’il y a derrière des personnes dont c’est le travail, des contrats publicitaires qui assurent un revenu etc. Bref, toute une activité professionnelle qui cherche forcément à ne pas disparaitre et même s’accroitre, que ce soit pervers (dans le sens où ça a des effets négatifs) ou non. Idem au niveau des « scouts » de toutes sortes et des pseudo-médias se lançant dans ce secteur où il y a moins de concurrence.

Ces épiphénomènes me paraissent à la limite beaucoup plus préjudiciables que l’entourage familial. Je connais ici aux États-Unis un père de famille (en situation difficile financièrement et personnellement), qui place tous ses espoirs dans son jeune fils de 15 ans, pas mauvais joueur de basket mais qui n’a pas encore prouvé qu’il deviendra un champion. Le fils ne se monte pas la tête autant que son père et, même si cela peut générer des relations compliquées, on peut imaginer qu’ils arriveront toujours à rester soudés, qu’il perce ou pas. De l’autre côté, ceux qui montent une activité rémunératrice autour des jeunes talents n’on souvent aucun scrupule à raconter monts-et-merveilles aux plus jeunes afin de les pousser à la limite de la morale (et de la légalité) pour mieux les jeter comme des chaussettes s’ils ne se sont pas transformés en vaches à lait ensuite.

En conclusion et au risque de se répéter, ce n’est pas la logique sportive derrière les compétitions jeunes qui est visée, mais plutôt ce qui ne relève pas du sport et y nuit. Gravement parfois.


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Déjà 2 Commentaires :

  1. StillBallin
  2. Je trouve le parallèle avec Justin Bieber (photo/article) pas si insensé que ça et même plutôt pertinent, non pas avec le Bieber MVP du match des célébrités mais avec le Bieber star de la musique.

    Sinon ce que tu soulèves est très juste avec d’un côté des adolescents qui n’ont en toute logique pas encore beaucoup de plomb dans la tête, tête qu’ils n’ont en général pas vraiment sur leurs épaules, et de l’autre un entourage pas souvent très net et des parents dépassés ou à côtés de la plaque.

    Mais je ne suis pas convaincu que le système américain ait en lui-même une grosse part de responsabilité puisqu’on voit des choses assez similaires dans le foot en Europe.

    Bon il est un peu responsable quand même mais pas forcément plus qu’un autre à mon avis.

    En tous cas, bien vu pour tout ça. Peut-être pourrais-tu écrire un article sur quelques uns des sujets que tu as lancé dans ce papier, ça serait à n’en pas douter très intéressant.

    le 20 février 2011 à 12 h 54 min

  3. Antoine
  4. Effectivement, ce sont surtout des observations jettées sur le papier.
    Tu as raison de souligner que ce n’est pas propre qu’au basket et bien une dérive qui peut s’appliquer à tous les sports hyper générateurs d’argent (foot en Europe pour reprendre ton exemple). Mais elle a des proportions et des effets plus grands aux USA, surtout pour le sport qu’on aime ici.
    D’ailleurs, au Jordan Classic, les joueurs européens (notamment nos deux frenchies) avaient beaucoup plus les pieds sur terre.
    Je te fais signe si j’ai l’opportunité de plancher sur un article là-dessus, avec tout le travail de terrain et de recherches de témoins et interlocuteurs que ça suppose.

    le 21 février 2011 à 11 h 19 min